Fabriquer ses pigments naturels

Dans les peintures, les encres, et toute autre base colorée, les pigments sont présents partout dans notre quotidien. J’ai commencé à m’intéresser à eux il y a bientôt 4 ans grâce à mes ateliers de cosmétique naturelle. J’utilisais alors pour la première fois des pigments naturels pour teinter BB crème, rouge à lèvres et autre blush.

Si vous avez déjà eu la chance de visiter le Colorado Provençal du sud de la France (Vaucluse), vous savez sûrement que les roches naturelles nous offrent une large palette de pigments minéraux (les ocres notamment). Ce sont ces couleurs minérales que j’utilisais en cosmétique.

Mais les couleurs sont encore plus nombreuses dans le monde végétal !

On parle souvent plus largement des pigments “organiques” car certains insectes sont aussi producteurs de couleurs (les insectes notamment, en particulier pour le rouge, plus difficile à trouver dans le monde végétal).

J’ai décidé de fabriquer mes premiers pigments végétaux après une session de teinture naturelle textile. J’avais terminé chacune des (longues) étapes de teinture, il ne restait “plus qu’à” ranger et nettoyer tout le matériel. Seul hic : ma cuve de 40L était encore pleine d’un superbe liquide jaune (j’avais teint avec de la Gaude, aka Réséda Luteola). Non seulement je n’avais pas envie de jeter l’eau, mais jeter la couleur que j’avais mis tant de temps à extraire des plantes : NO WAY !

Bon, cela dit, je savais que le tissu mordancé à l’alun avait absorbé la plupart des molécules colorantes, et qu’il ne restait en fait pas beaucoup de “couleur” dans ce liquide d’apparence jaune. J’aurai pu choisir d’y teindre un second morceau de tissu, d’une couleur certes moins intense, voir très pâle…. Je n’avais plus de tissu pré-mordancé, et je n’avais pas la patience pour re-préparer du tissu, tout ça pour une couleur qui risquait fortement d’être pâlotte.

C’est grâce à mes livres de teintures, mes notes “à creuser” de stage chez Couleurs Garance, et le richissime compte facebook de Michel Garcia que j’ai découvert le “laquage” pour recycler un fond de bain de teinture.

Rassurez vous, vous pouvez tout à faire fabriquer un pigment sans passer par l’étape teinture (voir procédé ci-après).

Le laquage, késako ?

La laquage est un procédé via lequel on extrait les molécules colorantes présentes dans un bain à l’aide d’un sel métallique (le plus souvent : l’alun). On fait ensuite précipiter la couleur à l’aide d’une base (PH élevé = basique), le plus souvent du carbonate de soude (cristaux de soude) ou du carbonate de calcium (craie).

NB : j’ai eu beaucoup de mal à trouver du contenu open source en français sur le sujet. Les recherches en anglais (“lake pigments”) ou en espanol (“pigmento de laca”) sont beaucoup plus fructueuses.

Teinture VS Pigment : quelle différence ?

Quelques définitions s’imposent pour bien comprendre la suite :

Une teinture (“dye” en anglais) est une couleur soluble dans l’eau

Un pigment est insoluble dans l’eau, il flotte en surface dans un liant.

Un pigment laque est le résultat de la précipitation de molécules colorantes (d’origine animale, végétale ou artificielle) sur un support minéral neutre (ex : de la craie).

Erreur/confusion commune : attention, un pigment laque n’est PAS simplement une plante réduite en fine poudre ! Les laques sont solubles en milieu acide, ce qui n’est pas le cas des poudres de plantes.

Procédé pour fabriquer un pigment laque :

Etape 1 : Faire une décoction des matières organiques (= la plante choisie). Cela peut être une écorce, des fleurs séchées, des feuilles…etc. La partie à utiliser dépendra de chaque plante tinctoriale.

Aparté bibliothèque :
2 livres très utiles pour savoir quelle partie de quelle plante tinctoriale utiliser : “Guide des teintures naturelles” de Marie Marquet, et “Le monde des teintures naturelles” de Dominique Cardon (les 2 sont aux Editions Belin).

NB : Comme en teinture, certaines plantes révèleront tout leur pouvoir colorant après avoir trempé une nuit dans l’eau froide. C’est le cas par exemple de la Garance, du bois de Campeche ou du bois de Sappan.

Etape 2 : Filtrer la matière organique (feuilles, fleurs, tiges…etc) et ajouter 100% du poids de matières organiques sèches (ou 50% si plante fraîche) en Alun de potassium, le fameux “sel d’Alun” utilisé pour mordancer les tissus en teinture . L’eau étant encore chaude, l’alun se dissout rapidement. Les molécules colorantes iront ainsi se fixer sur l’alun (qui est ici dans l’eau, et non pas dans les fibres mordancée comme en teinture).

Etape 3 : Ajouter ensuite 50% du poids des matières organiques sèches (25% si fraîches) en Carbonate de Sodium (Na₂CO₃, plus communément appelé cristaux de soude). C’est sur cette base que le pigment va précipiter.

Attention ! Milieu acide + base = un max de mousse qui se forme !! prévoir un récipient assez grand pour éviter les débordements…

A gauche : la mousse qui monte lors de l’ajout des cristaux de soude / A droite : la mousse retombée après quelques minutes de mélange à la cuillère

Etape 4 : on laisse reposer le liquide quelques heures. Le précipité va se déposer naturellement au fond du récipient.

ll est enfin temps de filtrer le pigment !

On commence par prélever le liquide transparent surnagent (très délicatement à l’aide d’un verre ou d’un bécher, pour ne pas faire remonter le dépôt du fond). Lorsqu’il ne reste que le fond, on utilise une étamine ou un filtre a café pour séparer l’eau restante de la pâte pigmentaire.

La suite est une histoire de patience. Car il faut utiliser un filtre très fin pour ne pas perdre une miette du précieux pigment, ce qui implique que l’eau coule…. doucement !

J’ai testé plusieurs “trucs” : séparer le mélange entre plusieurs filtres, remuer régulièrement avec une cuillière pour aider la filtration (j’avais toujours l’impression que mes filtres tissus étaient obstrués tellement l’eau gouttait lentement…), utiliser une immense (large) étamine. Le constat était toujours le même : c’est LONG, et plus on patiente, plus on récupère de pâte pigmentaire ! (le jeu en vaut donc la chandelle, parole d’impatiente 😉 ).

Une fois que l’eau est totalement écoulée, on récupère la pâte pigmentaire récupéré à la cuillère.

Ensuite on peut soit :

  • Intégrer la pâte directement dans une recette d’encre ou de peinture qui contient de l’eau, comme l’aquarelle (puisqu’on va de toute façon rajouter de l’eau !).
  • Faire sécher complètement la pâte pigmentaire pour obtenir une laque en poudre et pouvoir l’intégrer à une recette de peinture à l’huile ou la stocker en attendant.

Comment faire sécher la pâte pigmentaire ?
(= extraire l’eau qui reste)

Méthode 1 : laisser la pâte colorée sur le filtre/étamine, l’étaler au maximum pour accélérer le séchage, et attendre ! à température ambiante en été, ou près du chauffage en hiver. Eviter par contre la lumière du soleil directe (comme en teinture, la couleur se fixe encore en séchant).

Méthode 2 : à l’aide d’un micro ondes. Sur une assiette, par phases chauffes intermittentes et modérées pour ne pas brûler le pigment. Après plusieurs tentatives, je n’ai pour ma part jamais obtenu un résultat de séchage satisfaisant avec cette méthode… est-ce la faute de la stratégie, de la stratège ou du matériel… nul ne sait ! 😀

Méthode 3 : fabriquer une petite pompe. J’ai vu des chimistes en herbe fabriquer ce genre de matériel sur Youtube. Piste à creuser si je me mets à faire souvent des pigments car cette méthode semble faire gagner un temps fou !

NB : la matière va se rétracter fortement en séchant, c’est normal ! la couleur va aussi foncer à l’œil, mais pas de panique, elle s’éclaircira de nouveau au moment du broyage du pigment.

Il ne reste plus qu’à broyer le pigment !

Enfin, on broie le pigment le plus finalement possible à l’aide d’un mortier et d’un pilon (éviter le bois qui sera difficile à nettoyer…). On peut ensuite stocker ses pigments dans des petits pots (penser à les étiqueter pour se rappeler de son origine) ou directement les utiliser dans une recette d’encre ou de peinture maison (article coming soon) 😉

Alors, vous vous sentez d’essayer ?? N’hésitez pas à m’envoyer vos photos ou vos questions !

Quelques éléments à creuser pour aller plus loin…

D’après mes recherches et ce que j’en ai compris, au même titre que tous les végétaux ne permettent pas de faire de “vraies” teintures (ie : stables dans le temps, résistantes à la lumières, aux lavages et aux frottements), toutes les matières organiques ne donnent pas des pigments laques.

J’ai vu de nombreux échecs d’essais sur internet à partir de végétaux qui sont aussi des leurres en teintures. L’exemple parfait étant la betterave ! (rappel : ne pas se fier aux couleurs “visibles” dans la nature pour déduire ce qui donnerai de bonnes teintures).

Les molécules colorantes suivantes semblent pouvoir être transformées en pigments laques (toujours d’après mes recherches et lectures) : les antraquinones, les naftoquinones, les flavonoïdes, les tanins et l’alizarine.

  • Les pigments laques que j’ai réussi à faire précipiter avec succès pour l’instant sont : le bois de Sappan, la Gaude et la Garance (fond de bain, teinte très pâle).
  • Pigments laques que je voudrais faire prochainement : Garange (rouge vif), Cosmos (orange ?), Noix de galle (noir), Bois de Campeche (violet foncé)

Question à éclaircir : quel est l’intérêt du carbonate de sodium (cristaux de soude) VS le carbonate de calcium (craie) pour faire précipiter le pigment ? différences de PH ?

Est-ce que 50% du poids de matière organique est la quantité adaptée ? Est-ce le seul élément influent sur la quantité finale de pigment obtenue ou la quantité d’Alun ajouté pour l’extraction est-elle aussi un facteur ?

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