Mordancer son tissu : étape 1 de la teinture naturelle

Le mordançage est un mot un peu barbare qui désigne pourtant LA clé d’une teinture naturelle lumineuse et bien fixée (= qui résistera au temps et aux lavages). “Mordancer” désigne le fait d’utiliser un sel métallique (qui fait office de “pont”) pour lier fibres textiles et molécules colorantes.

Je vous parle ici d’un mordançage à l’alun de potasse (=sel d’alun). Après avoir commencé par cette méthode “classique” qu’il me semble essentiel de connaitre, j’utilise aujourd’hui une autre technique de mordançage à l’acétate d’alumine. Je vous en parlerai dans un autre article pour ne pas vous embrouiller l’esprit. Commençons par le début 😉

Que se passe-t-il si je ne mordance pas mon tissu ?

Car c’est bien la première question que je me suis posée au début de mes expérimentations tinctoriales : “Est-ce vraiment si important de mordancer ?” / “je ne peux vraiment pas faire sans ??” Rappelons que la patience n’est pas ma plus grande vertu, et je cherche donc toujours à éviter les étapes non essentielles 🙂

1 – La plupart des molécules colorantes naturelles n’ont, par essence, aucune affinité moléculaire avec les fibres textiles. On les appelle “les couleurs à mordant” (=elles ne peuvent pas être utilisée sans mordançage préalable). J’ai fait l’expérience (#jecroiscequejevois) de plonger un morceau de tissu non mordancé dans un bain de teinture : le tissu ne ressors que très (très) légèrement coloré. Une bonne partie de cette infime couleur part dès le rinçage, et le premier lavage en machine se charge d’ôter le reste. “Bon, il fallait mordancer, OK !”

2 – Si vous vous plongez dans les blogs et tuto de teinture végétale sur les internets, vous lirez que certaines plantes à couleur “ne nécessitent pas de mordançage“. Il s’agit alors de plantes contenant des tannins (=l’une des familles de colorants). Et, en effet, les tannins sont des couleurs dites “substantives”, c’est à dire qu’elles se fixent toutes seules. Voilà pourquoi TOUS les tutos pour débutants vous proposent de commencer à teindre avec la peaux des avocats ou les peaux de grenade : elles sont riches en tannins, et permettent donc de teindre sans mordancer… Oui mais….

….la nature est un peu plus complexe que ça ! Certes, avocat et grenade sont riches en tanins, mais ils contiennent aussi d’autres molécules colorantes ! Sans mordançage, les tanins se fixeront dans le tissu, mais vous passerez à côté des nuances de couleurs apportées par les autres molécules colorantes de ces plantes. Je ne dis pas que je mordance toujours mes tissus lorsque j’utilise des plantes à tanins, MAIS, j’ai observé que la teinture à l’avocat, par exemple, est beaucoup plus rose et lumineuse après mordançage.

Pour lire l’article dédié aux teintures avec des plantes à tanins , c’est ici 😉

Trêve d’avant propos : le mordançage, comment on fait ?

Important : Pesez le tissu que vous souhaitez mordancer et notez ce poids du tissu sec, en grammes. Ce poids de tissu sec sera votre “base 100%” pour tous les % donnés ci-après dans l’article.

Commencez TOUJOURS, TOUJOURS, TOUJOURS par bien laver/décatir votre tissu. Les tissus neufs sont gorgés d’apprêts (produits chimiques), et les tissus de seconde main sont gras/poussiéreux même si vous ne le voyez pas à l’œil nu. Autant d’éléments qui empêcheront le mordant d’imprégner les fibres, et donc la teinture de réussir ensuite. Vous pouvez opter pour un lavage en machine à température assez haute (le but est de décaper au maximum le tissu). Mais Idéalement :

  • Faire tremper 1 nuit votre tissu dans l’eau froide
  • Puis, faire bouillir 1h votre tissu avec 15% de cristaux de soude (=carbonate de sodium). Bien rincer avant de passer au mordançage. J’ai observé de meilleurs résultat avec cette méthode qu’avec un simple lavage en machine. (Technologie : 0, Moyen-âge : 1 !^^)
La “recette” de mordançage dépendra ensuite de la nature de vos fibres : sont-elles d’origine végétales ou animales ?
  • Fibres animales (protéiques) = Laines & Soie
  • Fibres végétales (cellulosiques) = Coton, Lin, Chanvre, Ramie…

Ces 2 familles de fibres naturelles ne se mordancent pas de la même façon, car elles n’ont pas toutes la même (non-)affinité initiale avec les colorants. Les fibres animales (=protéiques) nécessiteront moins de préparation que les fibres végétales (=cellulosiques).

Retenez que les fibres protéiques ont plus d’affinité moléculaires avec la couleur que les fibres cellulosiques.

(il suffit de voir l’état de mes mains lorsque je teins des draps sans gants… La peau se teint beaucoup mieux que le coton ^^)

Mordancer les fibres animales : les étapes pas à pas

Etape 0 : humidifier votre tissu (j’ai toujours une bassine d’eau à portée quand je teins). Cela permettra au mordant de se fixer uniformément sur les fibres, et donc d’éviter les traces plus tard lors de la teinture.

Etape 1 : plonger la laine/soie 1h dans un bain à petit bouillon* avec 20% d’alun de potassium (=sel d’alun) et 5% de crème de tartre**. Bien rincer.

Le tissu est prêt pour la teinture colorante ! (article à venir)

*Vous lirez souvent que “la laine ne doit surtout pas être trop chauffée, au risque de rétrécir, feutrer…etc“. Et bien, c’est FAUX ! J’ai appris au cours de mes lectures, stages et expérimentations que ce n’est pas la chaleur qui abime la laine mais les chocs de températures. On peut ainsi tout à faire teindre la laine très chaudement, mais il faut commencer par plonger les fibres dans l’eau froide pour monter en température doucement, puis laisser la laine refroidir doucement dans le bain avant de rincer. Testé et approuvé !

**La crème de tartre est un agent anti-feutrage qui protègera vos fibres tout en aidant la prise de l’alun.
Appelée aussi “bitartrate de potassium” ou “tartrate de monopotassium”, elle est obtenue lors de la fabrication du vin. Cette poudre se dépose naturellement sur le bord des fûts après la vinification. Si vous êtes fan de pâtisserie, c’est bien cette même crème de tartre que vous pouvez utilisez parfois pour stabiliser et donner du volume aux œufs battus !

Mordancer les fibres végétales : les étapes pas à pas

Les étapes seront en partie les mêmes que pour la laine et la soie, mais un problème supplémentaire se pose pour teindre coton/lin/chanvre et autres fibres cellulosiques. Non seulement elles n’ont pas d’affinités avec les molécules colorantes, mais les fibres végétales n’ont pas non plus d’affinité naturelle avec l’alun (et les autres sels métalliques) !

On utilise alors le pouvoir substantifs des tanins pour faire un premier “pont” entre ces fibres cellulosiques et l’alun, qui fera lui même pont avec la couleurs. Cette étape préalable au bain d’alun s’appelle “l’engallage”.

Etape 0 : humidifier le tissu (rappel : étape essentielle pour éviter les traces / la mauvaise répartition de la teinture plus tard).

Etape 1 : Réaliser un engallage. Pour cela, plonger le tissu 1h environ à petit bouillon dans un bain avec 10% d’une plante riche en tanin* (généralement : Noix de galle, Myrobolan, ou Tara). Le but est de faire un engallage avec une plante riche en tanin (pour aider l’alun de l’étape 2 à se fixer), mais pas trop colorante, pour ne pas fausser la teinte finale. Puis on rince.

*Si vous n’achetez pas directement une poudre de plante à tanin prête à l’emploi, pensez à découper en petits morceaux/réduire en poudre au mixeur votre plante à tanin. J’utilise par exemple un petit moulin à café pour réduire en poudre les noix de galles ramassés dans la nature.

Etape 2 : Une fois l’engallage fait, plonger le tissu dans un bain avec 20% de sel d’alun (= alun de potassium). Bien rincer.

Pas de crème de tartre cette fois ? les avis des auteurs divergent sur l’utilité de la crème de tartre pour les fibres cellulosiques. Je n’en mets en général pas mais vous pouvez essayez et comparer les résultats !

Le tissu est prêt pour la teinture colorante ! (article à venir)

Et l’eau dans tout ça ?

La quantité d’eau n’importe pas dans les recettes de teinture, y compris lors du mordançage. Les fibres vont “capter”/”attirer” le mordant nécessaire, peu importe la quantité d’eau ! Le tissu doit simplement pouvoir bouger librement dans la casserole. (j’ai souvent lu “4L d’eau pour 100g de tissu”, mais je suis souvent obligée de mettre moins d’eau, faute d’avoir des casseroles assez grandes). Si le tissu est trop compressé dans la casserole, le mordant ne pourra pas atteindre toutes la surface des fibres, et vous aurez des traces lors de la teinture. J’en ai fait les frais plusieurs fois. Pensez donc bien à remuer régulièrement votre tissu dans la casserole, autant lors du mordançage que la teinture, surtout si votre casserole n’est pas immense.

LE MORDANCAGE 2.0, EST-CE POSSIBLE ?

ECONOMISER DU TEMPS ?

Soyons honnêtes, les étapes citées jusqu’ici peuvent faire peur quand on débute en teinture… Lorsque j’anime des ateliers, je dis souvent que la teinture naturelle est une sorte “d’activité méditative”, idée sans laquelle teindre avec des plantes ne semble pas franchement adapté à nos modes de vies modernes… Il faut souvent plusieurs jours pour préparer et teindre son tissu. Bref : la teinture naturelle ne se pratique pas entre 2 rdv, en étant pressé.e et overbooké.e !

ECONOMISER DES RESSOURCES ?

J’ai commencé la teinture avec ma cuisinière à gaz, et je me demandais souvent si certaines étapes ne pourraient pas être faites à froid, pour éviter de vider la bouteille de gaz à chaque fois (1h de chauffe pour décaper le vieux drap, 1h de chauffe pour le bain de tanin, 1h de chauffe pour l’alun, 1h pour la teinture… ça en fait du gaz !). Même remarque pour les litres d’eau passés, qui certes peuvent êtes rejetés dans les plantes ou provenir de récupération de pluie, mais quand même, ça fait une sacrée quantité d’eau…

MA TECHNIQUE N°1 : grouper les mordançages ! je ne mordance jamais un seul morceau de tissu à la fois. J’en prépare plusieurs, et je stock les tissus mordancés, prêts à teindre. Non seulement je gagne du temps lorsque j’ai une envie soudaine de teindre, mais je peux surtout utiliser l’eau du bain de tanin et d’alun plusieurs fois. (attention : on remet bien du tanin ou de l’alun dans l’eau pour chaque tissu ! Rappelez vous que la quantité de mordant dépend du poids du tissu, pas de l’eau.)

MORDANCER A L’ACETATE D’ALUMINE : Mentionnée au début de ce texte, cette méthode est beaucoup moins consommatrice en temps, en eau et en chaleur. Mais elle l’est beaucoup plus en vinaigre blanc ! Cette méthode est aussi (à cause du vinaigre), beaaaaucoup plus odorante. Si vous teignez et séchez dans votre cuisine ou autre pièce sans extérieur, je vous la déconseille. J’écrirais prochainement un article sur le mordançage à l’acétate ou ajouterai ici une nouvelle section. A suivre….

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